Si vous avez des actions chez Microsoft, ayez peur. Ayez très peur. Vers 2010, Windows sera aussi mort que CP/M, et tous les vendeurs de logiciels basés sur Windows supporteront Linux ou bien auront fermé leurs portes.
Le processus est en fait déjà achevé à 80 % : le résultat final est déjà évident pour les PDG intelligents, et le sera sous peu même pour les éditorialistes de la presse généraliste.
Dans cet essai, nous allons écumer les preuves disponibles, extrapoler les tendances, et examiner certains des mécanismes qui les sous-tendent.
Dans son essai Where to ? daté de 1952 (disponible dans Expanded Universe), Robert A Heinlein faisait remarquer qu'il y a quatre façons d'extrapoler une courbe exponentielle. Supposez, par exemple, qu'un certain système d'exploitation, "Linux", a doublé sa part de marché tous les six mois pendant toute une décennie, et a atteint 2,5 % du marché des machines de bureau. Comment un analyste devrait-il extrapoler la courbe ?
Notez que lorsque Linux a atteint 10 % du marché des serveurs, toutes les principales sociétés tierces de développement de logiciels serveurs ont pris le train en marche. L'hypothèse la plus modeste, alors, est que lorsque Linux atteindra 10 % de part de marché sur le bureau, les développeurs tiers de logiciels de bureautique prendront de la même façon le train en marche. C'est compréhensible : un gain de 10 % de part de marché suffit pour intéresser les actionnaires. Nous pouvons nous attendre à voir cet effet boule de neige entrer en jeu sur le marché des machines de bureau pendant l'année 2000.
Pour cet essai, je me tiendrai à la valeur modeste de deux doublements de Linux par an : cela rend l'arithmétique plus facile à suivre. Les esprits audacieux peuvent refaire l'extrapolation avec un temps de doublement de quatre mois.
Dans un processus exponentiel, chaque doublement est juste aussi difficile que n'importe quel autre doublement. Linux a doublé avec succès 24 fois jusqu'à maintenant, et a besoin d'un total de 29 à 30 doublements pour atteindre la domination du marché des machines de bureau : c'est ainsi que, fondamentalement, les 24/30èmes environ du chemin ont été faits, ce qui revient à dire 80 %.
Il faut un analyste courageux ou téméraire pour prédire que le coureur fera un faux pas et tombera avant la ligne d'arrivée, alors que la course est déjà courue à 80 % !
C'est une chose d'additionner des faits pleinement publics et de faire des extrapolations géométriques élémentaires, c'en est une autre de les comprendre. Pourquoi est-ce que Linux écrase Windows sur le marché ?
Pour une compréhension quelque peu plus profonde, nous pouvons observer que l'éclipse de Windows par Linux n'est pas un événement isolé, mais n'est en fait que la continuation d'une tendance irrésistible de l'industrie depuis un quart de siècle.
En 1970, le monde de l'ingénierie informatique était dominé à tous les niveaux par des standards propriétaires.
L'ASCII était un rêve lointain : chaque ordinateur avait son propre codage binaire du texte, utilisé par sa propre gamme de terminaux , que Dieu garde quiconque suffisamment fou pour essayer de transporter un fichier texte entre deux marques d'ordinateurs. Les principaux constructeurs d'ordinateurs avaient plusieurs codages du texte incompatibles : par exemple les variantes de l'EBCDIC d'IBM et DEC avec le sixbit contre le radix50. Si vous étiez suffisamment pervers pour vouloir que votre texte soit portable d'un ordinateur à l'autre, vous évitiez les extensions risquées comme les minuscules, sans parler des caractères spéciaux au-delà du point et de la virgule.
En 1970, des systèmes d'exploitation propriétaires primitifs parsemaient le paysage comme de puissants dinosaures : PrimeOS de Prime, RSTS et RT-11 de DEC (avec VAX/VMS peu après), les offres innombrables d'IBM, Scope de CDC et bien sûr, dominant le marché des stations de travail scientifiques, Domain, d'Apollo.
Qui aurait alors osé prédire la chute de tels géants ?
Quelle force pouvait renverser des systèmes d'exploitation aussi bien retranchés, supportés par des investissements massifs de la part de l'industrie, par la culture des hackers et par la loyauté des clients ?
Aujourd'hui, bien sûr, nous connaissons tous la réponse :
En 1975 Bell Labs sort Unix.
En quinze ans, une bande magnétique et une idée avaient efficacement détruit toute opposition : chaque vendeur de station de travail supportait Unix ou bien avait fait faillite.
(Bien sûr, quelques-uns des plus gros dinosaures s'attardèrent dans des niches : VAX/VMS est en vérité encore disponible si vous le demandez, quoiqu'ayant muté en OpenVMS et clamant plus ou moins être un Unix. Il est possible qu'un retraité quelque part fasse encore tourner Domain sur du véritable matériel Apollo d'époque. Le Boston Computer Museum préserve sans doute certains de ces coelacanthes du monde de l'informatique).
Quelle fut l'idée qui à elle seule extermina ces dinosaures propriétaires ?
Les standards ouverts et le choix des clients.
Ces monopoles propriétaires qui sont si profitables pour les vendeurs sont aussi très coûteux pour leurs clients, à tel point que si on leur en laisse le choix, les clients préfèrent à tous les coups les standards ouverts et la compétition ouverte.
Et tôt ou tard, un vendeur en train de se débattre leur offre le choix.
Finalement, un marché mature des stations de travail réalisa qu'il était mieux servi par des standards ouverts partagés par toute l'industrie, et tous les vendeurs suivirent cette ligne ou firent faillite, depuis les vendeurs de terminaux (l'ASCII ou la banqueroute) jusqu'aux intégrateurs de réseaux (TCP/IP ou la banqueroute) en passant par les vendeurs de machines (Unix ou la banqueroute).
Mais même alors que St Unix terrassait les dinosaures propriétaires du monde des stations de travail, l'histoire se répétait dans la vallée des Micro-ordinateurs.
En 1960, DEC introduisait le miniordinateur PDP-1, et en 1963 le PDP-8, avec 4Kmots de mémoires.
En 1975, MITS introduisait le micro-ordinateur ALTAIR 8800 avec 256 mots de mémoire.
Juste lorsqu'il apparaissait que les disques et les langages de haut niveau étaient là pour rester, on pouvait une fois encore expérimenter les joies des systèmes d'exploitation codés en assembleur et chargés depuis une cassette !
La micro-informatique a continué de rejouer l'histoire des stations de travail depuis lors, avec un décalage de quinze ans.
Sur ces seules bases, un analyste paresseux, prenant 1989 comme l'année finale de la mort des systèmes d'exploitation propriétaires pour miniordinateurs, pourrait choisir 2004 comme année probable de décès final des systèmes d'exploitation propriétaires de micro-ordinateurs - en parfait accord avec la prédiction d'une saturation du marché par Linux commençant en 2002 selon la tendance exponentielle.
Une autre prédiction peu coûteuse en provenance directe de l'histoire : tout comme le glas des systèmes d'exploitation propriétaire pour miniordinateurs fut sonné par un jugement ordonnant que les achats de miniordinateurs fédéraux américains spécifient un standard ouvert comme POSIX plutôt que la solution chérie d'un seul vendeur comme VAX/VMS, le glas final des systèmes d'exploitation propriétaires pour micro-ordinateurs sera un procès couronné de succès requérant que les achats de micro-ordinateurs fédéraux spécifient une solution ouverte comme POSIX plutôt que la solution chérie d'un seul vendeur comme Windows.
Aujourd'hui, les personnes qui ont choisi les standards ouverts contre les solutions propriétaires dans le contexte de la station de travail doivent prendre les mêmes décisions dans le contexte des micro-ordinateurs et (cela surprend quelqu'un ?) font les mêmes choix : les solutions propriétaires dans le monde de la micro sont rapidement remplacées par les standards ouverts, sur tous les fronts. Les standards du logiciel libre comme TCP/IP éliminent les standards propriétaires comme IPX, tandis que simultanément, les standards matériels ouverts comme le PCI démolissent les alternatives propriétaires comme le Microchannel.
Microsoft fut le plus gros des dinosaures de la micro-informatique à pousser des solutions propriétaires, et il n'est pas surprenant qu'il se montre le dernier à sombrer dans la mare de goudron des standards ouverts, tout comme Apollo, le leader des systèmes d'exploitation propriétaires pour station de travail, fut le dernier à rendre l'âme.
En vérité, tout comme un Tyrannosaure Rex pris au piège, Microsoft reste dangereux, capable de déchirer tout concurrent à portée de mâchoires, même si ses débattements le font couler encore plus profondément dans le goudron.
Mais avec l'intérêt à long terme de toute la clientèle travaillant contre les solutions propriétaires, Microsoft ne peut qu'acheter au coup par coup sa survie à court terme en bradant ce qui reste de son futur :
Microsoft se tournera-t-il finalement soudain vers le bon côté de la Force ? Il y a un précédent dans la façon dont DEC est soudainement passé du "Unix c'est de la daube" à "Nous sommes le plus gros vendeur d'Unix dans l'industrie".
Ou bien Microsoft se battra-t-il avec conviction jusqu'à la fin amère, tout comme le fit Apollo, tombant les armes de ses relations publiques à la main ?
Nous n'avons aucun moyen de le deviner, mais en termes d'industrie, cela ne fait de toute façon aucune différence, sauf peut-être pour les employés et les actionnaires de Microsoft.
Laissons couler inexorablement le Dernier Dinosaure toujours plus profondément dans la mare de goudron qui a déjà englouti tous les prédécesseurs de Microsoft dans le grand jeu des systèmes d'exploitation propriétaires.
Il fait peu de doute que lorsque Windows tombera, Linux héritera de sa cape : c'est une simple question de vitesse acquise. Demandez à Alta Vista (par exemple) de compter les points :
Windows: 2,530,775 Linux: 502,053 Solaris: 251,513 HP/UX: 105,833 FreeBSD: 81,781 MacOS: 70,851 UnixWare: 23,386 Ultrix: 15,133 OpenBSD: 11,892
Linux non seulement grossit plus vite que n'importe quel OS de l'histoire, mais il attire déjà deux fois plus l'attention sur le Web que les autres, à part Windows.
Pourquoi ?
Une partie de la réponse est bien sûr la simple chance. Si Linus Torvalds était né dix ans plus tard, FreeBSD aurait très bien pu hériter de la niche écologique qu'occupe Linux.
Une partie plus intéressante de la réponse est la révolution du Logiciel Libre : grâce à l'avènement de l'Internet, la micro-informatique va ici bien plus loin qu'une simple redite de l'histoire des stations de travail et découvre de nouveaux territoires.
Les standards ouverts rendent le monde de l'informatique plus efficace en réduisant la quantité d'énergie perdue lors de l'implémentation d'une idée nouvelle : les standards découpent l'environnement logiciel en morceaux dotés d'interfaces définies, et seul le composant situé derrière une certaine interface doit être réimplémenté. L'introduction de quelque chose comme SSH peut maintenant être réalisée en n'ayant juste qu'à remplacer quelques programmes comme telnet, au lieu de devoir peut-être introduire un système d'exploitation entièrement nouveau.
Cette réduction du gaspillage de l'effort de programmation se traduit directement en logiciel meilleur marché et plus copieux, ce qui à son tour produit des économies indirectes dans toutes les parties de l'économie influençant le logiciel.
Le Logiciel Libre fait un pas de plus en avant : lorsque le source est disponible, au lieu de devoir réécrire des programmes comme telnet à partir de zéro, le code source existant peut être simplement modifié, ce qui résulte en une réduction encore accrue du gaspillage d'effort.
La propriété privée du code source a permis par le passé à de grandes sociétés de dominer le marché du logiciel car elles pouvaient modifier leur code existant à moindre coût par rapport à d'autres qui, sans avoir accès à ce code, devaient tout réécrire de zéro. Ceci permettait l'extraction de rentes monopolistiques auprès des clients, avec les résultats heureux habituels pour le vendeur et ceux malheureux pour les clients et l'économie dans sa globalité.
La croissance de l'Internet a changé la donne : elle a rendu la coopération si peu coûteuse, et l'ensemble des développeurs coopérant autour de Linux si grand, que Linux désormais a non seulement une force de développement rendant ridicule tout ce que Microsoft peut entreprendre (avec une durée de doublement de cette force qui se mesure en mois), mais il a aussi une base de code source existant ridiculisant celle dont disposent toutes les sociétés sauf les plus grandes. Le code source de Linux consiste en environ cent millions de lignes de code, ce qui, au taux couramment accepté dans l'industrie de 100 dollars par ligne, représente un investissement effectif de dix milliards de dollars.
Par comparaison, des compagnies comme Lotus ou Apple ont une valeur d'environ deux milliards de dollars sur le marché, Oracle vaut environ trente milliards de dollars, et Microsoft environ cent milliards de dollars.
En termes économiques, si Linux était une société privée, selon les métriques économiques habituelles des valeurs comptables, il serait actuellement environ la troisième plus grosse firme de logiciel de la planète, derrière Microsoft et Oracle et devant des firmes comme Autodesk (1.3 milliards de dollars).
En termes de pure puissance de programmation productive, Linux dépasse déjà largement Microsoft, et il prend rapidement de l'avance : s'il s'agissait d'une société de logiciel conventionnelle, elle aurait le budget effectif de développement le plus gros du monde du logiciel.
Puisqu'il n'existe aucun moyen concevable pour que Microsoft puisse égaler l'échelle de l'effort porté sur Linux, il n'existe aucune façon pour Microsoft de combler le fossé des capacités et de la fiabilité que Linux a déjà creusé devant Windows : le temps que le Dernier Dinosaure se débatte pour atteindre la position que Linux tient déjà, Linux sera au-delà de l'horizon.
Grâce à la disponibilité du source, la totalité du monde académique et de la recherche est devenu un labo de R&D pour Linux. Par exemple, grâce au projet Beowulf de la NASA, Linux a aujourd'hui des superordinateurs opérationnels en production, comptant des centaines de noeuds. C'est une prédiction sûre que de dire que d'ici un an, il y aura des superordinateurs sous Linux avec plus d'un millier de processeurs - et même probablement plusieurs milliers.
Je ne sais pas ce qui sortira demain ou l'année prochaine des labos de recherche de la NASA, du MIT, ou de Caltech et compagnie, mais une prédiction est facile : l'écrasante majorité des progrès seront construits sur Linux.
Le résultat de tout ceci est le début d'une phase de transition fondamentale dans la façon dont la totalité de l'industrie du logiciel fonctionne.
Les compagnies innovantes découvrent qu'en marchant avec Linux, elles peuvent influencer une base logicielle dont l'équivalent commercial dépasserait déjà les dix milliards de dollars doublant régulièrement - au lieu de devoir réinventer ces roues et d'être par conséquent en retard sur le marché - et peuvent se faire un allié de la plus grosse équipe de développement de la planète.
Il est déjà difficile de résister, et une fois que la part de marché de Linux aura dépassé celle de Windows, cela deviendra irrésistible et irréversible.
Le futur nous fait signe !
Avant de sortir, laissez s'il-vous-plaît un don pour la Fondation de Préservation des Dinosaures : quelqu'un doit commencer à préserver le souvenir de l'ordre ancien, avant qu'il ne soit perdu à jamais.
Tous droits abandonnés : Dupliquez librement. Ce document est dans le domaine public.
Version originale.
Page de commentaire des lecteurs (en anglais).